vendredi 4 mai 2012

Les triplets de Beauport et le travail de la pierre


La famille Parent décide de frapper à la porte de Claude Baillif et de profiter de son savoir-faire. Baillif est « l’entrepreneur en bâtiments le plus connu et le plus prolifique du XVIIe siècle» (1). Au mois d’avril 1687, Pierre Parent et Jeanne Badeau concluent un accord avec l’architecte de renom. Le 11 avril, Jeanne Badeau, au nom de son mari absent, et Claude Baillif se présentent chez le notaire Gilles Rageot. Le contrat spécifie que Jean Parent, âgé de 12 à 13 ans – étonnant de constater que les parents ne puissent pas être plus précis sur l’âge de leur enfant – deviendra apprenti chez Claude Baillif à partir du 1er juin prochain pour une durée de cinq ans. Baillif l’initiera aux métiers entourant le travail de la pierre. Plusieurs clauses de ce contrat fournissent un aperçu de la situation d’un très jeune apprenti. Premièrement, le jeune Parent aidera l’architecte au cours de la première année de son apprentissage selon les besoins exprimés par le maître. Lorsque l’apprenti aura acquis plus d’expérience, Baillif s’engage à le rémunérer. Il lui versera la somme de 150 livres tournois pour les deux dernières années d’apprentissage; ce salaire sera payé moitié en argent et moitié en billets payables en deux termes égaux. Tout au long de la durée du contrat d’apprentissage, l’architecte s’engage à nourrir et entretenir l’apprenti et à lui fournir tout son habillement (2). Jean Parent terminera son apprentissage âgé de 19 ans.

Jean n’est pas le seul triplet à profiter de la possibilité de devenir apprenti chez Claude Baillif. Au mois de juin 1692, l’architecte accepte de servir de mentor à un autre triplet, Étienne Parent. Le 22 juin, Jeanne Badeau se présente chez le notaire Louis Chambalon, une fois de plus sans son mari. Ici encore, elle ne donne pas précisément l’âge de son fils; elle déclare qu’Étienne est âgé de 16 à 17 ans. Pour la signature de ce contrat d’engagement, elle est accompagnée d’un de ses fils, André, qu’elle qualifie comme « L’un de Ses enfans principal Conducteur de leur famille », et de Joseph Rancourt, son gendre. Dans ce cas-ci, le contrat d’apprentissage aura une durée de trois ans.

Baillif promet de lui enseigner et de lui montrer à tailler la pierre et à effectuer des travaux de maçonnerie. L’architecte s’engage à nourrir, loger et blanchir l’apprenti pendant la durée du contrat et de lui payer un salaire. Étienne Parent recevra une somme de 60 livres la première année, 80 livres la deuxième année et 100 livres pour la dernière année (3). Les clauses d’apprentissage d’Étienne sont plus avantageuses que celles de Jean mais leur situation est très différente. Il faut considérer dans ce dernier cas que l’apprenti est plus âgé et qu’il possède vraisemblablement quelques rudiments des métiers se rapportant au travail de la pierre.

La situation que vivent les frères Parent correspond à celle de la plupart des apprentis en Nouvelle-France. Indépendamment du métier, la durée moyenne d’un apprentissage est de trois ans et trois mois et, chez les maçons, elle est de trois ans et six mois. Si le profil type d’un apprenti maçon s’applique mieux à Étienne quant à l’âge, il en est tout autrement pour Jean tant par son âge – l’âge moyen d’un apprenti maçon est de 17 ans et 11 mois – que par le salaire qu’il reçoit qui est nettement inférieur au salaire moyen reçu par ce type d’apprenti soit de 60 livres par an. Toutefois, le jeune âge de Jean fait en sorte qu’il participe peu ou pas aux lourds travaux que demande le travail de la pierre pendant les trois premières années de son apprentissage et explique le fait que son maître ne lui paie pas de salaire durant cette période. En général, les apprentis plus jeunes vivent un apprentissage plus long que les apprentis plus âgés (4).

Pendant que Jean et Étienne s’initient aux secrets de la construction en travaillant la pierre, on ne sait rien de ce que fait leur frère jumeau Joseph. Aucun acte notarié ou autres documents permettent d’affirmer qu’il a suivi le même chemin que ses frères. Cependant, le métier qu’il exercera au cours de sa vie laisse supposer qu’il a lui aussi appris le métier de maçon et qu’on lui a enseigné l’art de construire avec de la pierre. Il est bien possible qu’il soit devenu apprenti sans qu’un contrat notarié officialise son statut. Il faut signaler que Joseph est le seul des triplets à savoir signer son nom.

1. Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1966, p. 76.
2. BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 11 avril 1687.
3. BAnQ, Minutier de Louis Chambalon, le 22 juin 1692.
4. Jean-Pierre Hardy et David-Thiery Rudel, Les apprentis artisans à Québec 1660-1815, Québec, Les Presses de l’Université du Québec, 1977, p. 40-47.

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