vendredi 30 décembre 2011

Le jour de l'an en 1650 en Nouvelle-France

En Nouvelle-France, au milieu du XVIIe siècle, on célèbre l’arrivée de la nouvelle année de deux façons. Tout d’abord, les autorités religieuses rappellent que le 1er janvier est surtout une fête religieuse, celle de la circoncision de Jésus. Mais ce volet religieux s’accompagne aussi d’un échange de présents, soit les étrennes du jour de l’an. Le mot étrenne est spécifique à ces cadeaux faits au premier jour de l’année.

À cette époque, en dépit d’un faible peuplement, cette coutume est déjà bien établie sur les rives du Saint-Laurent. En 1653, on évalue la population de la Nouvelle-France à environ 2000 habitants (1). On peut lire des passages du Journal des jésuites qui soulignent le début de la nouvelle année. Le rédacteur de ces textes est le père Jérôme Lallemant.

Ainsi, le 1er janvier 1649, le père Lallemant notait que :

M. le Gouverneur envoya le matin son sommelier apporter deux bouteilles de vin d’Espagne, un coq d’Inde & un Agnus Dei; autant au P. Vimont, & le double de vin d’Espagne au P. Le Jeune. Les Hospitalières nous envoyèrent un baril de vin d’Espagne & deux chapons (2).
Le gouverneur de cette époque se nomme Louis d’Ailleboust de Coulonge et d’Argentenay. Il a succédé à Charles Huault de Montmagny en 1648. Il sera remplacé par Jean de Lauson en 1651.

Un an plus tard, on peut lire  que :

Les Hospitalières envoyèrent deux chapons le matin. Les Ursulines nous envoyèrent saluer par M. Vignar & n’envoyèrent rien autre chose. Je donnai à M. Vignar un pain de bougie & une bible que m’avait donnée mademoiselle Mance; à St.Martin, un pain de bougie & une main de papier, & deux livrets spirituels.
Mons. Le Gouverneur envoya une escouade de soldats au bout du pont, nous saluer avec décharge de leur arquebuse, & de plus 6 flacons de vin, dont deux étaient de vin d’Espagne. J’envoyai les étrennes à tous les domestiques de la maison, savoir : un petit reliquaire de deux sols & un livre de plus à Gloria, & à Beaufour, officier de lutrin. On leur donna souliers sauvages ou mitaines (3).
Pour le Nouvel an 1651, le rédacteur du Journal des jésuites écrivait :
J’allai saluer M. le Gouverneur dès le matin. Je donnai à Madame un reliquaire. J’écrivis aux Ursulines & aux Hospitalières. J’envoyai à M. Couillar un calumet de pierre […] M. Giffar m’envoya deux chapons, Mre Jean Guyon un chapon & une perdrix, Madame Couillar deux poules vives (4).
Un mot concernant M. Couillar et M. Giffar. M. Couillar est nul autre que Guillaume Couillard, un des pionniers de la Nouvelle-France, présent à Québec dès 1613. Il épousa Guillemette Hébert, fille de Louis Hébert et de Marie Rollet, le 26 août 1621, à Québec. Leur fille Élisabeth Couillard a épousé Jean Guyon, le 27 novembre 1645, à Québec. Quant à ce M. Giffar, il s'agit de Robert Giffard, seigneur de la seigneurie de Beauport. Cette seigneurie avoisine la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Les jésuites sont les seigneurs de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges où Pierre Parent s’établira après son mariage en 1654.

Les ursulines, originaires de Tours et de Paris, et les hospitalières de la Miséricorde de Jésus, provenant de Dieppe, sont arrivées en Nouvelle-France en 1639.

1. Robert Lahaise et Noël Vallerand, La Nouvelle-France 1524-1760, Montréal, Lanctôt, 1999, 334 pages.
2. Journal des jésuites, publié d'après le manuscrit original conservé aux archives du Séminaire de Québec par les abbés Laverdière et Casgrain. Québec, chez Léger Brousseau, imprimeur-éditeur, 1871, p. 119.
3. Ibid, p. 132.
4. Ibid., p. 147-148.

vendredi 23 décembre 2011

Noël en Nouvelle-France au XVIIe siècle

Au XVIIe siècle, on fête Noël en Nouvelle-France. Il s’agit d’une fête religieuse qui est couronnée par la célébration de la messe de minuit. On célèbre la naissance Jésus.

Très tôt, les ursulines de Québec faisaient de la fête de Noël un jour spécial. Elles érigeaient une crèche avec les personnages de Marie, Joseph et Jésus.

Nous rappellerons encore ici une de ces ingénieuses et touchantes pratiques de nos anciennes Mères, pour augmenter parmi les séminaristes et les pensionnaires, la dévotion envers la sainte Enfance de Notre-Seigneur. Tous les ans à l’époque de Noël, elles faisaient venir de Lorette ou de Sillery, un petit sauvage qu’elles habillaient de neuf, honorant en lui le Saint Enfant Jésus. Déjà l’on avait dressé dans la chapelle une grande et belle crèche, où figuraient de hauts sapins verts, arbres chéris des sauvages; à l’ombre de ces sapins paraissaient les trois personnes de la Ste. Famille, Jésus, marie et Joseph, tandis que dans le lointain se révélaient aux yeux des sauvages étonnés, les anges, les pasteurs et leurs troupeaux (1).
Parfois, il arrive qu’attendre la messe de minuit en toute paix s’avère impossible. Dans la nuit de Noël 1645, on peut lire dans les Relations des jésuites que
deux de nos français s’étant mis à boire, en attendant la messe de munit, s’enivrèrent avec beaucoup de scandale de quelques Français et sauvages qui les virent; on prêche fortement contre, à raison de ce que les Sauvages disaient : « On nous fait prendre la discipline quand nous nous enivrons, et on ne dit rien aux Français. ». Il n’en fallait pas davantage que ce qui fût dit en public. Mons. Le gouverneur les fit mettre sur le chevalet exposé à un nord-est épouvantable (2).
Heureusement, une telle situation reste exceptionnelle. En décembre 1648,
la messe de minuit fut précédée des matines qui furent dites pour la 1ère fois et bien. Il y eut grand monde et toute l’Église regorgeait dès le commencement des matines, qui commencèrent à 10 heures. On sonna le dernier quart d’heure devant et on finit un quart devant minuit (3).
Au début de 1651, les jésuites écrivaient :
La grande Église de Québec, dont on commença la bastisse il y a trois ans, n’est pas encore achevée; toutefois, on commença à Noël à y faire l’Office avec un ordre et une majesté qui augmentent la dévotion : il y a huict enfans de chœur, des chantres et des Officiers (4).
En 1664, les missionnaires jésuites, en expédition sur la Côte-Nord, ont passé la fête de Noël sur les bords d’un grand lac où ils érigèrent une chapelle. « Tous, à la réserve de quelques uns, que je ne jugeai pas assez disposez, y firent leurs dévotions avec beaucoup de sentiment de piété »(5).

Pierre Parent et sa famille se rendent à la chapelle de Beauport qui existe au moins depuis le début de la décennie 1650 (6).

Joyeux Noël

1. Les Ursulines de Québec depuis leur établissement jusqu’à nos jours, tome premier, Québec, C. Darveau, 1863, p. 316-318.
2. Journal des Jésuites cité dans Raymond Montpetit, Le Temps des Fêtes au Québec, Montréal, éditions de l’Homme ltée, 1976, p.43.
3. Ibid., p. 47.
4. Relations des Jésuites, http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/numtxt/195694-2-%28594-707%29.pdf
5. Relations des Jésuites, http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/numtxt/195694-3-%28282-426%29.pdf
6. Jean Langevin, Notes sur les archives de Notre-Dame de Beauport, Québec, 1860, 138 pages.

vendredi 16 décembre 2011

Les unités de mesure en Nouvelle-France

En 1659, Pierre Parent débourse une somme de 75 livres pour l’achat d’un bœuf. En 1660, Pierre acquiert des jésuites une superficie de terre de 16 perches carrées. En 1672, débute la construction de leur maison, rue Sault-au-Matelot, à Québec, qui mesurera 20 pieds de largeur. En 1688, les ursulines paieront les sommes de 100 sols pour chaque pipe de chaux que la carrière Parent leur livrera. À quoi correspondent ces mesures du XVIIe siècle par rapport à nos mesures actuelles ? Les mesures utilisées en Nouvelle-France diffèrent des mesures modernes. Le tableau suivant aide à mieux les comprendre. Notez que cette liste n’est pas exhaustive car d’autres mesures sont aussi utilisées par nos ancêtres.

Unités de mesure
Monnaie
12 deniers = 1 sol
20 sols = 1 livre
1 franc = 1 livre (1)
1 écu = 3 livres (2)

La livre est une valeur comptable car il n’existe pas de pièces de monnaies de cette valeur. En Nouvelle-France, on observe aussi la circulation de monnaies étrangères.
En 1685, l’intendant Jacques de Meulles invente la monnaie de cartes. Sur des cartes à jouer, on écrivait des montants qui étaient validés par un cachet officiel.

Mesures de longueur
1 pied français = 1,066 pied anglais
1 aune = 3 pieds 8 pouces
1 toise = 6 pieds (toise de maçon)
1 perche = 18 pieds français
1 arpent (mesure linéaire) = 180 pieds français (en mesure anglaise= 191,8 pieds)
10 perches = 1 arpent linéaire
1 lieue = 5 km

Mesures de surface
100 perches carrées = 1 arpent de surface

Mesure de volume

2 roquilles = 1 demiard
2 demiards = 1 chopine
2 chopines = 1 pinte
2 pintes = 1 pot
1 minot = 3 boisseaux ou 39 litres
4 minots = 1 setier
1 poinçon = 320 litres
1 pipe = 1 muid et demi ou 210 pots (3)
1 barrique = 110 ou 120 pots

1. Dans le livre des comptes du Séminaire de Québec, un franc et une livre ont la même valeur.
2. Dans le livre des comptes du Séminaire de Québec, on donne la valeur de 3 livres à 1 écu.
3. En consultant le Trésor de la langue française, réalisé par l'Institut national de la langue française à Nancy, on apprend que le mot pipe, en métrologie (science des mesures), a deux principaux sens: a) Ancienne capacité de mesure pour les liquides équivalant à un muid et demi, soit quatre-cent deux litres environ; b) Grande futaille, de capacité variable selon les régions; son contenu : une pipe de cidre, de cognac, d'eau-de-vie.

vendredi 9 décembre 2011

Les biens matériels de Pierre Parent et Jeanne Badeau

Le notaire Jean-Robert Duprac réalise l’inventaire des biens de la communauté entre Pierre Parent et Jeanne Badeau du 16 au 18 octobre 1698. Pierre est décédé le 5 août précédent. Un tel document décrit la liste des biens domestiques, des animaux de la ferme et des biens fonciers de Pierre Parent.

Voici quelques éléments tirés de l’inventaire qui sont transcrits en français moderne:


Une vieille crémaillère, prisée et estimée à trente sols;
Item une pelle à feu, une broche et un vieux gril, le tout de vieux fer, prisés et estimés le tout à huit livres;
Item deux marmites, l’une avec son couvercle et l’autre sans couvercle et entourée d’un cercle de fer, prisées et estimées à six livres;
Item une vieille poêle rapiécée, prisée et estimée à une livre;
Item un seau ferré de trois cercles de fer, prisé et estimé à quatre livres;
Item trois vieux chandeliers de cuivre jaune, prisés et estimés à quinze livres;
Item une vieille huche de bois de noyer, prisée et estimée à trois livres;
[...]
Dans une autre chambre, C’est rencontré,
un vieux piège tel quel, prisé estimé à cinq livres;
une vieille baratte, prisée estimée trente sols;
Item une vieille pince de fer, prisée estimée à la somme de six livres;
une paire d’armoire à quatre volets de bois de merisier fermant à clefs, prisées estimées à la somme de vingt livres;
Item une vieille table avec son tiroir, non estimée à cause de son peu de valeur ;
Item un vieux chalit où couche les petits enfants où il y a une méchante couverte de poils de chien et aussi une autre couverte de poils de chien et un matelas pesant vingt sept livres en laine et pour sept livres six sols de toile et pour le matelas font 30 livres;
Item deux sas à sasser avec une vieille tinette prisés le tout quarante sols;
[...]
Ensuit les Bestiaux,
Item trois grand cochons, un estimé 18 livres et les deux autres à vingt-huit livres;
Item deux cochons norituriaux, prisés estimés à huit livres, font seize livres;
Item deux autres petits cochons norituriaux, estimés 5 livres;
Item deux chevaux dont il y en a un borgné sous poil rouge et brun âgé de onze ans ou environ, estimé à soixante et dix livres et l’autre cheval, prisé estimé 40 livres; 

et les harnais prisés estimés 10 livres;
Item quatre jeunes bœufs âgés de quatre ans, deux sous poil gris et blanc et les deux autres sous poil rouge, prisés estimés chaque paire des dits bœufs cent vingt livres, font les quatre 240 livres;
Item deux mères sous poil brun et blanc, l’une âgée de neuf à dix ans et l’autre de trois, prisées estimées les deux à soixante livres;
Item deux taures l’une sous poil rouge et blanc et l’autre sous poil noir, âgées d’un an et demi, dont une prisée vingt-deux livres et l’autre prisée estimée vingt livres;
Item une autre taure d’un an ou environ, prisée estimée à la somme de quinze livres;
Item deux brebis mères, prisées estimées à quatorze livres la pièce, fait vingt-huit livres;
Item cinq oies, prisées estimées à vingt-cinq sols pièce, font six livres cinq sols;

[...]

vendredi 2 décembre 2011

Jeanne Badeau, chef de famille

Jeanne Badeau a commencé à représenter son époux, Pierre Parent, pour les contrats concernant la carrière Parent au début de la décennie 1670. Avec les années, son engagement dans la gestion de la carrière a pris de l’importance et au milieu des années 1680, elle signait tous les contrats de livraison de pierre et de chaux. Par exemple, à la suite de l'incendie survenu au mois d'octobre 1686 qui a détruit leur monastère, les Ursulines doivent rebâtir. Ainsi, « Reverende Mere Marie de Jesus Superieure des Dames Religieuses du monastere de Ste Ursule des Ursulines de Cette ville et Anne de Saint Agnes depositaire dudt monastere » signent avec Jeanne Badeau, dans le parloir extérieur de leur couvent, un contrat d'approvisionnement de pierres et de chaux pour des travaux de maçonnerie à faire effectuer à leur monastère. Jeanne promet de faire livrer, pendant l'été qui vient, toute la pierre et toute la chaux nécessaires. Les ursulines paieront les sommes de 100 sols pour chaque pipe de chaux, 24 livres pour chaque chaloupée de pierres de taille et de 17 livres pour chaque chaloupée de pierres communes. Jeanne accepte de recevoir les sommes dues moitié en argent et moitié en marchandises (1).

L’implication de Jeanne dans la conduite des affaires de la famille ne s’est pas limitée à l’exploitation de la carrière. En 1687, elle négocie les conditions d’apprentissage du triplet Jean qui souhaite apprendre le métier de maçon et devenir, éventuellement, entrepreneur d’ouvrages de maçonnerie. Le 11 avril 1687, elle s'entend avec Claude Baillif, le plus important architecte de Québec. Celui-ci accepte de prendre Jean Parent comme apprenti pour une période de cinq ans, Baillif s'engage à former le jeune homme dans les métiers liés à la construction. Il le nourrira et l'entretiendra pendant la durée du contrat. De plus, il lui versera une somme de 150 livres, une moitié en argent et une moitié en billets (2).

Le 17 janvier 1688, Jeanne négocie avec Marie-Madeleine Pelletier veuve de défunt Nicolas Cliche, serrurier. Elle loue leur maison située sur le rue de la Montagne pour son fils Joseph l’aîné. Pierre Parent ratifie le contrat le 21 janvier (3). Le 21 mars 1694, deux des triplets, Jean et Étienne Parent, achètent de Claude Baillif un emplacement de 20 pieds de front dans la Basse-Ville de Québec et leur mère accepte la vente au nom de ses fils encore mineurs et cautionne leur acquisition. (4). Trois jours plus tard, le notaire Duprac s'amène chez Pierre Parent qui ratifie l'acte d'achat (5).

Un contrat notarié rédigé au mois de décembre 1691 résume bien la situation de la famille Parent. Dans ce cas-ci, Jeanne Badeau vient en aide à son fils Michel et à son associé et beau-frère, Joseph Rancourt. Rancourt a épousé Marie Parent, veuve de David Corbin, le 5 février 1685. Dans ce contrat le notaire qualifie de ces mots Jeanne Badeau : « Jeanne Badault femme de Pierre Parent habitant de Beauport Laqdte femme declarant faire Et gerer leur affaire de leur communeauté». Michel et son beau-frère construiront une chaloupe (6). 

Ces quelques cas ne représentent que la pointe de l'iceberg. Depuis le début de la décennie 1680, Jeanne est presque toujours celle qui parle au nom de la famille tant chez les notaires que devant les tribunaux. Les mots utilisés par le notaire Rageot en 1691 ne laissent pas de place à l’équivoque. À Québec et à Beauport, tous savent que Jeanne Badeau assume dorénavant la gestion des affaires de la famille Parent.

1. BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 4 février 1688.
2. BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 11 avril 1687.
3. BAnQ. Minutier de Gilles Rageot, le 17 janvier 1688.
4. BAnQ, Minutier de Louis Chambalon, le 21 mars 1694.
5. BAnQ, Minutier de Jean-Robert Duprac, le 24 mars 1694.
6. BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 12 décembre 1691.