vendredi 4 novembre 2011

La maison de la rue Sault-au-Matelot

Au mois de mars 1672, Pierre Parent et Michel Lecourt, marchand et boucher demeurant à Beauport, décident de travailler en association. Leur partenariat se renforce par l'achat d'un terrain à la Basse-Ville de Québec. Jean Dedouyt, prêtre du séminaire de Québec et représentant les marguilliers de la paroisse de L'Ange-Gardien sur la côte de Beaupré, leur vend un emplacement situé au bas du « Sault au Mathelot » de 25 pieds par 48 pieds pour une somme de 300 livres payable en deux versements de 150 livres chacun, à faire aux deux prochaines fêtes de la Saint-Jean-Baptiste (1).

En se lançant dans un tel projet, les deux associés s'engagent dans une ère de développement de leurs commerces. Parent et Lecourt voient grand. Ils veulent construire une maison rue Sault-au-Matelot. À l'automne 1672, ils se considèrent prêts à passer à l'action. Lecourt se rend chez le notaire Rageot en compagnie de Jeanne Badeau; Pierre est absent. Ils engagent Jean Langlois, charpentier de Québec. Celui-ci construira sur leur terrain une maison de 20 pieds de largueur « de dedans en dedans » et de 25 pieds « de dehors en dehors », avec des poutres installées de telle sorte qu'on pourra éventuellement construire une galerie. Chaque mur aura une épaisseur de deux pieds et demie. La carrière Parent et Lecourt fournira la pierre et la chaux pour l'érection des murs.

Les travaux de Langlois, pour lesquels il recevra une somme de 200 livres plus 6 litres de vin du marché, devront être terminés à la fin du mois de juin 1673 (2). La présence de Jeanne Badeau à la signature de ce contrat montre bien le rôle de premier plan qu'elle joue dans la gestion des affaires de la famille, et cet état de fait ne fera que s'amplifier dans les années suivantes. Lecourt quitte Québec en 1678. Pierre est maintenant le seul propriétaire de la maison.

Le 18 avril 1681, en association avec son voisin Antoine Caddé, la maison de la rue Sault-au-Matelot subit une transformation. Les deux voisins fourniront tous les matériaux nécessaires pour édifier, en maçonnerie, un pignon qui reliera leur maison respective, et feront ériger un mur mitoyen. Cette nouvelle construction comprendra quatre cheminées, deux du côté de Pierre Parent et deux du côté d'Antoine Caddé (3).

La maison de Québec détruite par un incendie


En 1688, un incendie a détruit la maison Parent située rue Sault-au-Matelot. Ce renseignement provient de deux jugements : le premier devant le tribunal de la Prévôté de Québec et le second devant celui du Conseil souverain. Le 22 décembre 1688, Pierre Parent, demandeur, se présente au tribunal de la Prévôté face au locataire de sa maison de la Basse-Ville, Joseph Prieur. Prieur doit se défendre : il déclare que « […] Sy la maison quil avoit Loüé du demandeur a esté Incendiée Il n y a point Eu de sa faute […] ». La sentence tombe, lourde d'impact. Elle condamne Prieur à payer au demandeur la valeur de la maison incendiée (4). Prieur en appelle de la sentence devant le Conseil souverain. Dans la cause du 31 janvier 1689, le Conseil souverain, considérant le fait que Pierre a pu récupérer les madriers, les planches et tout ce qui peut avoir été sauvé de la dite maison incendiée, tempère le premier jugement rendu en décembre dernier. Finalement, Prieur est condamné à ne payer qu'une somme de 120 livres (5).

Auparavant cette maison avait été louée à Pierre Desmaisons, tailleur de pierres et maçon, comme nous l'apprend un jugement formulé par la Prévôté de Québec le 11 août 1688 dans lequel le juge lui ordonne de payer la somme de 12 livres et 10 sols pour le loyer de la maison Parent (6). Donc, entre le 11 août et le 14 novembre 1688, date de signature d’un contrat de construction avec Guillaume Jourdain (7), un incendie a détruit la maison du couple Parent-Badeau.

La construction de la nouvelle maison est confiée à Guillaume Jourdain. Le couple Parent-Badeau trouve la charge financière qui y est associée trop lourde. À l'automne 1689, une entente est négociée avec un partenaire, Étienne Charest, tanneur, qui demeure dans la seigneurie de Lauzon. Jeanne Badeau, au nom de son mari, cède « La moytié du pignon d une maison quelle fait construire dans cette ville », rue du Sault-au-Matelot, pour une somme correspondant à la moitié du coût de construction. De plus, Charest donnera 90 livres à Jeanne pour qu'elle fasse ériger par son maçon deux cheminées au-dessus d'un porche que Charest va faire construire dans une ruelle avoisinante et 60 livres pour la pierre de taille nécessaire pour les jambages des cheminées (8).

Au cours des années 1690 et 1700, Pierre Parent et Jeanne Badeau louent cette maison. Les héritiers de Pierre Parent et Jeanne Badeau demeurent propriétaires de la maison jusqu'en 1712. Au mois de juillet de cette année-là, ils la vendent à leur locataire, Jean Duprat, moyennant une somme de 8 600 livres (9). Duprat, maître boulanger, meurt le 19 octobre 1717. Sa veuve, Élisabeth Marchand, se remarie avec Jean Aubin Delisle le 17 septembre 1719, à Québec. À la suite du décès de la dame Marchand le 7 mars 1726, Aubin Delisle procède à l'inventaire des biens de leur communauté dans lequel on trouve une description de la maison de la rue Sault-au-Matelot. Le notaire Barbel écrit qu'il s'agit d'un emplacement qui mesure 40 pieds de front par 56 pieds et demi de profondeur sur lequel est érigé une maison de pierre à trois étages avec une largeur de 30 pieds sur la rue et une profondeur de 40 pieds (10).

D’après mes recherches, cet emplacement serait aujourd’hui occupé par l’Hôtel 71.


(1) BAnQ, Minutier de Romain Becquet, le 27 mars 1672.
(2) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 20 octobre 1672
(3) BAnQ, Minutier de Michel Fillion, le 18 avril 1681.
(4) BAnQ, La Prévôté de Québec (registres civils), vol. 25, folio 177v.
(5) JDCS, vol. III, 1887, p. 289-290.
(6) BAnQ, La Prévôté de Québec (registres civils), vol. 25, folio 60r.
(7) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 14 novembre 1688.
(8) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 4 octobre 1689.
(9) BAnQ, Minutier de Florent Lacetière, le 17 juillet 1712.
(10) BAnQ, Minutier de Jacques Barbel, le 6 avril 1726.

1 commentaire:

  1. Merci pour ce texte ! Grâce à votre recherche, je suis en mesure de déterminer à peu près ou était la maison de mon ancêtre Joseph Rancourt, le voisin et beau-frère d'André (époux de Marie Parent)

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