vendredi 28 octobre 2011

Le tremblement de terre de 1663

Le début de l'année 1663 en Nouvelle-France demeure mémorable pour une très bonne raison : c'est l'année du tremblement de terre qui modifie substantiellement le paysage de la région. On le qualifie d'extraordinaire. La secousse sismique ébranle toute la vallée du Saint-Laurent. Il est difficile d'en évaluer l'intensité mais les témoins de l'époque rapportent un phénomène d'importance.

Extrait des Relations de Jésuites (1)
Ce fut le cinquiéme Fevrier 1663. sur les cinq heures & demie du soir, qu'un grand brouïssement s'entendit en mesme temps dans toute l'estenduë du Canadas […]. On fut bien surpris de voir les Murailles se balancer, & toutes les pierres se remüer, comme si elles se fussent détachées […] la terre bondissoit faisant danser les pieux des palissades d'une façon qui ne paroissoit pas croyable […].

[…] L’on voit de nouveaux lacs où il n’y en eut jamais; on ne voit plus certaines montagnes qui sont engouffrées; plusieurs saults sont applanis; plusieurs rivières ne paroissent plus; la terre s’est fendue en bien des endroits, et a ouvert des précipices dont on ne trouve point le fond enfin, il s’est fait une telle confusion de bois renversez et abysmez, qu’on voit à présent des campagnes de plus de mille arpents toutes rases. Et comme si elles estoient tout fraîchement labourées, là où peu auparavant il n’y avoit que des forests[…]

Ce Tremble-Terre tres remarquable […] ayant continué iusques dans le mois d'Aoust, c'est à dire plus de six mois : il est vray que les secousses n'estoient pas toujours également rudes.

La crainte provoquée par les secousses sismiques réveille sûrement des dévotions oubliées chez bien des habitants, car Pierre, en cette année 1663, fait un don de 40 sols à l'église de Sainte-Anne-de-Beaupré, comme le montre le registre de «l'Estat des dons et oblations faicts à l'Eglise de Ste Anne du petit Cap en L'annee 1663 ». Il s'agit d'un don qui se situe dans la moyenne des sommes rapportées par le registre de cette église (2).

D’autres phénomènes extraordinaires ont été observés en Nouvelle-France en 1663. Le père Lallemant, le rédacteur des Relations des jésuites, écrivait que, le 7 et le 14 janvier, trois soleils était apparus dans le ciel et que ce spectacle avait duré près de deux heures.

1. Relations des Jésuites 1656-1665 contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, tome 5, Montréal, Éditions du Jour, 1972, année 1663, p. 3-5.
2. Rapport des Archives du Québec, tome 45, Québec, 1968, p. 183.

vendredi 21 octobre 2011

Québec : le grand incendie de 1682

La prospérité économique de la ville de Québec subit un brusque arrêt au mois d'août 1682 non pas à cause d'une conjoncture économique difficile ou de plusieurs années de mauvaises récoltes mais parce qu'un gigantesque incendie détruit presque toute la Basse-Ville de Québec. Les religieuses de l'Hôtel-Dieu de Québec décrivent cette tragédie et rapportent que toutes les maisons de la Basse-Ville furent détruites à l'exception de celle de Charles Aubert de Lachesnaye (1).

Extrait des Annales de l'Hôtel-Dieu
Le feu prit a une maison de la basse Ville, et comme elles etoient fort combustibles, nêtant bâtis que de bois, et la saison fort seche, le feu se communiqua si vite qu'en peu de temps toute la ville se trouva reduite en cendre, c'êtoit le 5e d'août, fete de Notre Dame des Neges, a dix heures du soir. Nous nous eveillâmes aux cris effroyables que nous entendîmes dans le voisinage, et nous ne fûmes pas peu allarmees de voir qu'il faisoit aussy clair chez nous qu'en plein midy […] Il n'y eût dans toute la Basse Ville que la maison de monsieur Aubert de la Chenaye qui fut sauvée de cet embrasement.

Comme la rédactrice des Annales de l'Hôtel-Dieu a décrit ces faits plusieurs années après l'événement, il faut apporter une correction : l'incendie a débuté dans la soirée du 4 août pour se terminer le lendemain matin (2). De plus, il n’y a pas seulement la maison du sieur de Lachesnaye qui fut épargnée, La maison de Pierre Parent, rue Sault-au-Matelot, a aussi échappé aux flammes.

Quand le nouveau gouverneur Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre et l'intendant de Meulles débarquent à Québec en septembre, force leur est de reconnaître l'ampleur de la catastrophe (3).

Lettre de l'intendant de Meulles au ministre du 6 octobre 1682
[…] apres soixante et dix huit jours de navigation nous Sommes arrives en Cette Ville ou nous avons trouvé une Consternation Universelle causée par Un incendie presque de toute la basse Ville de Quebek, on y compte Cinquante et tant de maisons bruslées dont la pluspart consistoient en grands magasisns qui Servoient pour descharger toutes les marchandises qui viennoient de France […].

Ainsi, le nouveau gouvernement est confronté à des situations d'urgence dont celle de rétablir une voie de communication entre la Basse-Ville et la Haute-Ville. Le gouverneur Lefebvre de La Barre est conscient de cette urgence et il écrit le 14 novembre 1682 : « Je vous marque icy l'incendie de la basse ville de Quebec dont j'ay deja eut l'honneur de vous escrire, il faut songer a faire restablir le chemin qui montant à la haute ville, c'est un ouvrage pour monsieur l'Intendant». (4)

Comme une forte concentration d'entrepôts de fournitures sont localisés à la Basse-Ville de Québec, plusieurs marchands ont subi de lourdes pertes. Conjugué à la reprise de la guerre avec les Iroquois, le déclin de la bonne fortune de Charles Aubert de Lachesnaye débuterait avec ce drame (5). D'ailleurs, le gouverneur Lefebvre de La Barre, associé à Aubert de Lachesnaye, le signale dans une lettre du 4 novembre 1683 adressée au ministre Colbert (6).

Lettre de Joseph-Antoine Lefebvre de La Barre à Colbert du 4 novembre 1683
Je suis conscience obligé de vous rendre compte des grands secours que le sieur de la Chesnayes rend au pays; l'incendie de la basse ville est presque réparée par le delay qu'il a donné à ses débiteurs et ce qu'il a pressé aux plus pauvres il avoit soustraitte cy devant des dettes de l'ancienne Compagnie de la ferme de Canada; ces Messieurs le pressent sans relâche et comme les effects subsistent toujours, il seroit bien juste qu'il plust a Sa Majesté de proroger le temps de ces payements de deux ou trois années afin que dedans la misere de ce grand accident il ne fut pas.

1. Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec 1636-1716, composées par les révérendes mères Marie-Jeanne-Françoise Juchereau de Saint-Ignace et Marie-André Duplessis de Sainte-Hélène, Québec, Hôtel-Dieu-de-Québec, 1984, p. 202-203.
2. Pierre-Georges Roy, « Les conflagrations à Québec sous le régime français », Bulletin des recherches historiques, vol. 31, no 3, 1925, p. 73.
3. Lettre de l’intendant de Meulles au ministre, Archives nationales du Canada, cote MG1-C11A, vol. 6, folio 79-80.
4. Pauline Dubé, La Nouvelle-France sous Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre. Lettres, mémoires, instructions et ordonnances, Sillery, Septentrion, 1993, p. 60.
5. Québec ville et capitale, sous la direction de Serge Courville et Robert Caron, collection « Atlas historique du Québec », Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, p. 82.
6. Pauline Dubé, op. cit., p. 108.

vendredi 14 octobre 2011

Après le décès de Pierre Parent

Après le décès de Pierre Parent survenu le 5 août 1698, il faut nommer un tuteur aux enfants Parent encore d'âge mineur. Comme l'a écrit le notaire, le 22 août, six des frères Parent, soit « Estienne Jean et Joseph tout trois jumeaux ages de vingt trois a vingt quatre ans, Charles agé de vingt deux ans Claude agé de vingt ans et Antoine parent agé de quinze ans », accompagnent leur mère dans une assemblée convoquée pour élire ce tuteur. Leurs beaux-frères – Jean Baugis et Michel Chevalier – assistent également à la rencontre, de même que leur oncle, Jean Badeau. Avancée en âge, Jeanne refuse d'assumer ce rôle. L'assemblée élit Pierre Parent fils comme tuteur et Jean Baugis, subrogé tuteur (1).

Puisque la Coutume de Paris veut que la moitié des biens du père aille aux enfants, un inventaire doit être préparé pour évaluer les biens de la communauté Parent-Badeau. Le 16 octobre suivant, tous les enfants Parent, à l'exception de Michel, se réunissent avec leur mère à la maison paternelle. Le notaire Jean-Robert Duprac va procéder à l'inventaire des biens de la communauté entre Pierre et Jeanne. Il s'agit d'un inventaire d'importance par sa durée, car commencé le 16, il ne se termine que le 18, mais aussi par la quantité de matériel énuméré, car il couvre 19 pages du minutier (2).

Ce volumineux acte notarié procure une mine de renseignements sur la situation matérielle de la famille Parent. On apprend qu'elle habite une maison de maçonnerie – l'exploitant d'une carrière se doit de donner l'exemple – de deux chambres avec une autre petite pièce qui sert de fournil. Malheureusement, l’inventaire ne précise pas les dimensions de la maison familiale. Les bâtiments habituels qu'on rencontre sur une ferme, soit une étable et une grange, complètent les biens immeubles. La composition du cheptel va comme suit : neuf cochons dont cinq adultes et quatre porcelets; neuf têtes de bétail composées de quatre jeunes bœufs, deux vaches et trois taures; deux brebis et cinq oies. En 1698, Pierre possédait environ 80 arpents de terre en labour et pacage et 10 arpents en prairie. Si on compare le cheptel de 1698 à celui de 1681, on note une forte diminution du nombre d’animaux.

Les dettes énumérées dans ce document nous apprennent que Pierre a été malade un certain temps, car la succession doit une somme de 350 livres à Gervais Baudoin, chirurgien à Québec. Globalement, Pierre Parent doit une somme de 1548 livres à divers créanciers et on ne lui doit qu’un maigre 28 livres. Pierre possède aussi une grande maison située rue Sault-au-Matelot, en la Basse-Ville de Québec. Cette maison sera le sujet d’un prochain commentaire.

1. BAnQ, Minutier de Charles Rageot de Saint-Luc, le 22 août 1698.
2. BAnQ, Minutier de Jean-Robert Duprac, le 16 octobre 1698.

vendredi 7 octobre 2011

Les engagés de Pierre Parent

Beaucoup de nouveaux arrivants en Nouvelle-France sont connus comme étant des engagés. De façon générale, l’engagé signe un contrat de trois ans envers un seigneur, une communauté religieuse, un riche marchand ou, tout simplement, envers un habitant, mais un habitant qui possède quelque moyen. En effet, celui qui fait venir un engagé doit payer le voyage et il promet un salaire et doit loger et nourrir son engagé. À la fin de leur engagement, ces nouveaux migrants peuvent retourner en France et beaucoup le font. Ceux qui restent reçoivent gratuitement une terre. Ajoutons que certains engagés signent des contrats de cinq ans.

Pour Pierre Parent, le commerce du bœuf et le métier de boucher s'avèrent un succès. Toujours est-il qu’il juge sa situation financière suffisamment saine pour faire venir un engagé, à ses frais. En 1666, Pierre reconnaît devoir à Pierre Jamin, capitaine du navire Le Moulin d'or, la somme de 101 livres et 10 sols « tant pour passage, grosse advanture, que avance & nourriture fournies a pierre valliere; qu'il a Ce jour d'huy declaré audt pierre parant pour le Service en qualité d'engagé Suivant & Conformement au contrat d'engagment dudt valliere passé devant Langlois notaire Royal en la ville de la Rochelle Le quatorze mai» (1). Pierre s'engage à payer cette somme en pelleteries. Cette façon de faire ne doit pas surprendre car, dans la colonie,  le numéraire est rare. Ainsi, même en pratiquant le métier de boucher, Pierre tâte également du commerce de la fourrure.

Au recensement de 1667, un autre engagé travaille pour Pierre Parent, il s’agit de Germain Langlois. Une fois leur engagement terminé, Langlois et Vallière décident de demeurer en Nouvelle-France. En octobre 1671, Pierre Vallière devient père pour la première fois. Il s'est marié à Québec le 8 septembre 1670 avec Anne Lagou. Témoignant sa reconnaissance envers Pierre, il lui demande d'être le parrain de son fils qui portera le prénom de Pierre. Accompagné de Jeanne Bourgeois, l'épouse de son cousin André Coudret, Pierre Parent assiste au baptême.

Le 14 juillet 1675, Germain Langlois épouse Jeanne Chalifour et Pierre Parent est l'un des témoins. Comme les anciens engagés n'hésitent pas à faire appel à leur ancien patron tant pour le baptême d'un fils aîné dans le cas de Pierre Vallière ou comme dans ce cas-ci, pour un mariage, on peut présumer que Pierre et Jeanne les traitaient convenablement. Langlois pratiquera le métier de boucher à Charlesbourg.

En 1681, Il faut également souligner l'importance du nombre de domestiques dans la maison Parent. Considérant la superficie de ses terres, son métier de boucher et étant donné l'ampleur des marchés de livraison de pierres et de chaux qu'ont signés Pierre et Jeanne, cette domesticité répond à un besoin. Parmi eux, seul le devenir de Clément Mauger est connu; il est inhumé à Beauport le 13 mai 1695.
Le sort Mathurin Cardin, Élie Clarouin et Jacques Delaunay est inconnu. 

À titre de comparaison, Charles Aubert de Lachesnaye, peut-être le marchand le plus important de la Nouvelle-France, compte treize domestiques à son service.



1. BAnQ. Minutier de Romain Becquet, 12 octobre 1666.